À Mérignac, la Vieille Église accueille “Voyage en Absurdie” corpus explorant la question de l’absurde. Un florilège d’œuvres ouvrant force brèches dans le réel pour mieux envisager et questionner notre rapport au monde et à ses interprétations.

Pour visiter l’exposition “Voyage en Absurdie” visible jusqu’au 14 avril à Vieille Eglise de Mérignac, Inutile de convoquer Michel Sardou — « Dans un voyage en absurdie/Que je fais lorsque je m’ennuie/J’ai imaginé sans complexe/Qu’un matin, je changeais de sexe/Que je vivais l’étrange drame/D’être une femme » —, certainement saisi d’effroi en écrivant cette immarcescible rengaine, composée l’année où François Mitterrand devint pour la première fois Président de la République…

En effet, l’invitation revient au musée imaginé, association fondée en 2006 par des étudiants en histoire de l’art, et dont le but est de familiariser le public à l’histoire de l’art et à l’art contemporain.

Proposition (faussement) facétieuse

Tout était prêt de longue date, puis vint la pandémie… ses multiples confinements, le port du masque sous le nez, les injonctions contraires, les faces de Carême de Jean Castex et Olivier Véran, les autorisations de sortie auto-signées. Deux années illustrant à merveille les définitions du mot selon Le Petit Robert : « Absurde : adj. et n. m. – absorde XIIe ; lat. absurdus “discordant”, de surdus “sourd”. 1. Contraire à la raison, au sens commun. 2. Qui viole les règles de la logique. 3. Dont l’existence ne paraît justifiée par aucune fin dernière. »

Après réorientation du projet vers la photographie stricto sensu, en accord avec l’axe culturel de la Ville de Mérignac, voici, enfin, le produit de cette proposition (faussement) facétieuse, dont le parcours suit quatre étapes : Sans queue ni tête, Nonsense, Le Rocher de Sisyphe et L’image dans l’image.

Odysée au long cours

Sous l’autorité morale de Raoul Hausmann (1886-1971) et de Dada, cette odyssée au long cours pose un regard sur (au choix) : l’incongruité, le paradoxe, l’impossible, le surréalisme du quotidien. Puisant dans les fonds du CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux, de l’Artothèque de Pessac, du Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, du Frac Poitou-Charentes, du Musée d’art contemporain de la Haute-Vienne – Château de Rochechouart, les commissaires Barbara Ertlé et Yann Perraud se sont faits fort de suivre à la lettre les mots d’Albert Camus : « La joie absurde par excellence, c’est la création. »

Sans logique apparente, Christian Boltanski, hilare en sosie de Roland Topor dans À mourir de rire (1975), semble ricaner du sanglier se repaissant de croquettes dans les rayons d’une grande surface, Supermâché [#3] (2004) de Laurent Sfar, tandis que le trouble cède le pas à la plaisanterie face au Poisson ficelé (2008) de Véronique Ellena, variation malaisante sur la nature morte. Et, puisqu’il est question de nourriture, les sculptures en emmental de Nicolas Boulard n’affichent-elles pas crânement leur évidente référence au ready-made de qui vous savez ?

Humanité indifférente

Plus loin, voici venir le temps de songer au tragique, si ce n’est à la dimension métaphysique de l’absurde. Avec Rien : jeudi 16 septembre 2009, 11h, Lacanau Sud (33) (2009), Thomas Lanfranchi se pose, à sa manière, en rouleur de rocher, juché sur son escabeau, planté dans le sable d’une plage de l’Atlantique. Jürgen Nefzger, lui, a parcouru l’Europe dans sa série Fluffy Clouds (2003-2006), à la recherche de tours jumelles, celles du nucléaire. Paysage apparemment paisible, humanité indifférente, sur le green de Sellafield, la métaphore se fait éloquente.

Et que dire du simulacre chez Marina Gadonneix, Untitled (Mars yard) #3 (2016), où la reconstitution le dispute à l’illusion ? Ou des sourires de Natacha Lesueur, dont ne sait s’il s’agit d’un travail sur les canons de beauté ou d’un rapport pervers à l’alimentation ? Appétit ou dégoût ? Beauté ou repoussoir ?

Bien malin qui saurait y répondre ? Peut-être cette girafe silencieuse du haut de son cylindre, reproduit à l’échelle 1 en tirages photographiques agrafés par Cyril Hatt, Théorie de l’évolution (2023) ? Toutefois, ne serions-nous pas, finalement, face à une image ouverte, ainsi définie par l’historien de l’art Georges Didi-Huberman, une image que le spectateur est invité à « incarner » pour lui rendre sa substance ?

Alors, prendre la fuite ? Pas si simple. Avec Depuis 1973 (1998), Laurent Montaron nous rappelle la part tragique d’assimilation de l’individu à l’objet. De l’absurdité à l’aberration, il n’y a qu’un pas.

Marc A. Bertin

Informations pratiques

« Voyage en Absurdie »,
jusqu’au dimanche 14 avril,
Vielle Église, Mérignac (33).

www.merignac.com

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